Quelques éclairages sur la violence, une obscure réalité

Marnix DRESSEN

Professeur de sociologie  – CLERSE – UMR CNRS 8019

Les problèmes relatifs à la violence sont

demeurés  jusqu’ici très obscurs »

J. Sorel, Réflexions sur la violence,1908

Préf., prem. édit.

toute première vue, dans les sociétés européennes, la violence revêtirait une double caractéristique : elle serait omniprésente et elle serait condamnable. Ainsi une simple recherche sur l’Internet aboutit à une profusion de domaines concernés par ce qui est réputé un fléau social. On y trouve des pages d’analyse et de dénonciation de la violence psychologique, verbale, conjugale, physique, urbaine, scolaire, sportive, routière, politique, télévisuelle, dans le travail, etc. Il est aussi surprenant d’observer à quel point l’accusation d’adopter des comportements violents est devenu stigmatisant. Il est désormais fréquents dans les milieux d’enseignants, de psychologues, de sociologues aussi de voir de la violence un peu partout. Cette omniprésence de la violence, réelle ou supposée est assurément le symptôme de quelque chose, mais de quoi exactement ? Telle était la question de départ.

Risquons une problématisation

La notion de violence est le plus souvent négativement connotée. Si l’on excepte des sociétés ou civilisations qui ont enfantées la notre (Spartes, etc.) et sauf situations sociales particulières ou groupes restreints comme certaines bandes de jeunes de quartiers de relégation [Lepoutre, 1997], les apologètes de la violence passent pour antisociaux et porteurs de valeurs jugées moralement négatives. La sémantique le confirme. Un outil de travail comme le Dictionnaire des synonymes du Crisco (Université de Caen), l’illustre également. Dans la longue liste de soixante dix termes synonymes de violence qu’il propose, on peine à en repérer plus de deux qui soient neutres. On en distingue trois autres qui pourraient à la rigueur revêtir une connotation positive (ardeur, vivacité et à la rigueur bouillonnement). A contrario, les antonymes proposés sont porteurs d’un désirable implicite, qui pourrait suggérer que nos sociétés aspirent à vivre dans un monde pacifié et débarrassé de la violence manifeste. Vraie ou fausse, le constat a au moins un mérite : dénaturaliser le rapport à la violence. Dans cette veine, certains observateurs considèrent que l’univers social des sociétés occidentales (qui serait caractérisé par la protection sociale, par le monopole d’État de la violence physique légitime) inciterait à une élévation croissante de l’intolérance sociale au risque et à la violence (idée à laquelle il vaudrait la peine de réfléchir à la lumière de la situation états-unienne). En dehors des forces de répression étatiques, seule la légitime défense finalement pourrait socialement justifier le recours à la force. Mais est-ce si sûr ? On peut mettre en doute que l’aspiration à vivre dans un monde débarrassé de violence soit si générale et est-elle indifférenciée ? Pour y répondre, on peut réfléchir aux caractéristiques des violences que nous rejetons.

Risquons quelques hypothèses : les violences honnies ne sont-elles pas le plus souvent celles dont nous sommes les victimes plus que celles dont nous sommes les auteurs volontaires ou non ? Pareillement, il est aussi probable que nous sommes plus tolérants aux souffrances que nous nous imposons à nous-mêmes (jeûne rituel par exemple, effort sportif intense et soutenu du marathonien) qu’à celles qui nous sont imposées de l’extérieur (meurtrissures, privations, insultes).

Mais au-delà de la violence que nous éprouvons personnellement, on peut aussi risquer une seconde hypothèse sur la violence dont nous avons connaissance directement ou non. Sans verser dans une phénoménologie excessive, force est de constater qu’individus et groupes n’éprouvent pas la même compassion pour toutes les victimes de violence, on l’a encore vérifié lors de la dernière guerre menée par Israël contre les Palestiniens à Gaza. En somme on peut observer que la plupart des membres de nos sociétés sont plus favorables (ou tolérants) à la violence qu’ils ne le croient et moins pacifiques qu’ils ne l’imaginent.

Ce phénomène est frappant : les situations de violence ressenties par certains groupes sociaux ne sont pas perçues comme telles par les autres. Il est des cas où la réalité de la violence n’est discutée par personne : le bombardement, l’attentat aveugle (contre des populations civiles). Mais en dehors de ces situations d’ultra-violences contre les masses, ou contre les individus (la torture, le viol), le dissensus apparaît rapidement : les privations de besoins fondamentaux et dans notre domaine, l’accident du travail, surtout s’il est mortel, amputationnel, traumatisant, relèvent-ils de la catégorie violence ? La mise en cause du travail réalisé par les salariés ressortit-elle de la violence [Clot, 1995]. Quid du chômage durable ou de la précarité ? Les uns perçoivent ces situations comme inacceptables, au mieux comme des situations de violences occultes tandis que d’autres les considèrent nécessaires à l’intérêt général ou encore des dégâts collatéraux inévitables. Ce phénomène est frappant : les situations de violence ressenties par certains groupes sociaux ne sont pas perçues comme telles par les autres. Ainsi, des femmes considèrent-elles que les sites pornographiques constituent une violence au genre féminin et une atteinte à sa dignité. Les hommes en sont généralement moins convaincus. A les écouter, il s’agirait plutôt de « violence invisible ».

Quoique la violence soit a priori multiforme, son analyse conduit rapidement, parfois sans en prendre conscience, à glisser à l’analyse de la guerre, qui peut être considérée comme une forme paroxystique de violence, violence contre l’ennemi, contre les civils et violence des officiers qui « parlent aux hommes » de troupe « comme on parle aux bêtes » [Alain, 1921].

La réalité de la cruauté guerrière n’est jamais déniée. Au contraire, elle est même toujours légitimée par l’une au moins des parties. On observe même que pour être efficace, la violence belliqueuse se doit de déshumaniser l’ennemi, de le considérer comme une chose, un élément d’une sous-humanité voire un animal (cas notamment des lynchages). Pour être efficace, la violence a besoin d’être déculpabilisée [Pontara, 2004]. Ainsi en est-il aussi du terrorisme, « moyen d’action de ceux qui n’ont pas de territoire où livrer bataille » [Michaud, EU]. On parle parfois de guerre des pauvres en ce sens que le terrorisme est souvent la méthode d’action de ceux qui ne disposent pas d’une armée de professionnels ou de conscrits. Cela dit, comme toute guerre, le terrorisme repose sur l’idée que l’agression est le prix à payer pour le triomphe d’une cause considérée comme juste.

Notons aussi, au risque d’étonner, il n’y pas que les guerres saintes « la jihad » des musulmans qui revêt le caractère essentiel du sacré. « La guerre, dit un commentateur, paraît interdire qu’on la considère avec objectivité. Elle paralyse l’esprit d’examen ». Elle est redoutable et impressionnante. On la maudit et on l’exalte. Transporté dans « un univers d’une effrayante intensité » [Caillois, 1951, p. 17], le guerrier disait un éminent philosophe « s’est dessiné un dieu, une justice, des maximes, un ordre humain qu’il croit surhumain » [Alain, 1934]. Comme le sacré, la violence est terrifiante et fascinante. « Son empire destructeur sur les campagnes et moissonne avec joie des victimes nombreuses » [Lautréamont, 1869]. Il convient donc de distinguer deux éléments dans la violence qu’elle soit ou non belliqueuse « dont l’un est aisément identifiable (les effets de la force physique) et l’autre plus difficile à saisir (l’atteinte à des normes) » [Michaud, EU]. Les sinistres débats – jamais épuisés – sur « la nécessité » de la torture, empruntent à cette dernière logique. La guerre se caractérise par un effacement des conventions communes. Soulevant les passions les plus vives, elle est difficile à analyser. La réflexion philosophique ou simplement citoyenne sur la violence incite aussi à se poser des questions d’un autre ordre. Il est tenant de se demander qui est le plus violent du parlementaire qui vote une loi qui permet l’usage de la torture ou du bourreau qui exercera ce « droit » et torturera un homme totalement vulnérable (détenu, attaché et gardé au secret) ? On peut aussi se demander si le tortionnaire qui agit « légalement » (p. ex. à Guantanamo sous l’administration Bush) est moins coupable que son homologue qui meurtrit les âmes et les chairs dans un autre pays qui interdit formellement les traitements inhumains et dégradants ? On observe parfois que des tortionnaires qui ont manié le feu et le fer, se retranchent derrière les ordres reçus. Grâce à H. Arendt [(1963) 2002] on connait la ligne de défense du nazi A. Eichmann cherchant à se justifier « le mal radical » dont il avait été une des pierres d’angles, devant un tribunal israélien. Il se présenta comme le simple rouage d’un système qui le dépassait : « j’ai fait mon devoir, conformément aux ordres. Et on ne m’a jamais reproché d’avoir manqué à mon devoir. » « Banalité du mal » analysa la philosophe. Lors de son procès fin 1997 début 1998, le préfet Papon prétendit qu’il avait usé de ses fonctions préfectorales pour sauver des juifs. S. Milgram [1974] a montré à quel point dans le cadre d’une expérience de psychologie sociale au protocole rigoureux, environ trois quarts des individus incités à torturer des innocents, s’ils pouvaient se retrancher derrière une autorité (en l’occurrence scientifique).

Il est des situations où il est difficile d’attribuer à un acteur ou même à un groupe d’acteurs bien identifiés l’origine d’une violence. On parle alors de « violence structurale ». Ainsi en est-il de la faim dans le monde qui tenaille quotidiennement un milliard d’humains sur la planète. Certes ce phénomène est fondamentalement social et résulte bien d’interactions humaines, mais les situations qui aboutissent à ce résultat sont nombreuses et complexes à moins qu’il n’y ait une sorte de consensus pour ne pas attribuer les responsabilités.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, on constate que la violence est effectivement omniprésente. Mais s’il est une chose que les sciences sociales ont établi c’est bien que les valeurs et les normes sociales sont relatives à des espaces spatio-temporels. Ce qui est considéré comme attentatoire à la dignité humaine est relatif à une époque historique donnée. Ainsi les historiens nous indiquent que l’esclavage que nous abhorrons a longtemps été considéré comme un progrès par rapport aux pratiques sociales antérieures qui voulaient qu’on exécute froidement les prisonniers de guerre avant d’éventuellement les dévorer.  Aujourd’hui, en Europe, il n’est pas rare d’analyser le suicide et même de plus en plus souvent la toxicomanie licite (tabac ou alcool) ou non (cannabis, héroïne, cocaïne, etc.) comme une sorte de violence contre soi-même. Cela n’a pas toujours été le cas. Ces exemples et notamment celui du suicide ou de la grève de la faim sont particulièrement intéressants, surtout lorsqu’il s’agit d’une méthode de lutte (cas p. ex. des Républicains irlandais comme Bobby Sands qui en 1981, sont allés jusqu’à mourir de faim). La privation de liberté des détenus de droit commun, même lorsqu’elle respecte « leurs droits » est-elle violente et dans l’affirmative, cet enferment est-il légitime ? On constate l’absence dse consensus social sur ces questions. Surtout les spécialistes des sciences sociales observent le caractère dynamique (mouvant et évolutif) des représentations sociales. Aujourd’hui, les violences conjugales tombent sous le coup de la loi. Il en est de même des mauvais traitements à animaux domestiques. Il n’en a pas toujours été ainsi.

Le caractère éminemment historique de l’appréciation sociale de la violence aboutit au caractère flou de la notion de violence en même temps qu’il en est le résultat.

  1. Un concept flou. S’agit-il d’ailleurs d’un concept ?

Il en est de la violence comme de toutes les notions incertaines, elles recouvrent des réalités nombreuses et hétérogènes. Pour A. Akoun, la violence « est un de ces concepts dont le sens n’échappe à personne et qui, cependant, est difficilement définissable » [2000]. D’ailleurs s’agit-il d’un noumène digne de ce nom ? Pour un spécialiste du marxisme comme G. Labica, la réponse est claire : « la violence n’est pas un concept » [Labica, sub V° violence]. Il est effectivement frappant que dans le domaine moral, celui « qui concerne l’action et le sentiment » (A. Lalande), L.-M. Morfaux, un philosophe, propose une définition si extensive qu’elle parait de prime abord déroutante. Il délimite la violence comme  « toute atteinte portée à la personne humaine, soit de la personne sur elle-même, soit sur celle d’autrui, soit d’une autre sur elle, ce qui vaut donc pour tous les individus les uns à l’égard des autres et des groupes humains, petits ou grands, les uns envers les autres » [Morfaux, sub v° violence]. On est assez loin de l’étymologie du terme violence, l’abus de force, d’action contre quelqu’un ou en employant force et intimidation [Le Grand Robert]. Reconnaissons toutefois qu’une définition extensive suscite une interrogation sur l’omniprésence sociale de la violence. Mais attention aux confusions notionnelles ! On peut se demander si une des difficultés que présente la notion de violence n’est pas ses nombreux cousinages avec des notions associées qui les absorbent ou les informent. Ainsi lorsqu’on réfléchit suer la violence, on côtoie toujours la souffrance avec laquelle on la confond parfois. Plus généralement, est-on sûrs de pouvoir clairement distinguer la violence de la force, de la coercition, de la contrainte, de la domination et même tout simplement du pouvoir ? Qui aujourd’hui accepterait encore l’affirmation d’un G. Sorel [(1908), 1990] lorsqu’il écrit « la force est bourgeoise » et « la violence est prolétarienne » (dans son esprit elle devait aboutir à la mise à bas de l’État, de tout État) ?

Mais si ce distinguo formulé par l’auteur de Réflexions sur la violence (1908), ne s’impose pas (ne s’impose plus ?) à l’esprit comme une évidence, bien d’autres sortes de violences poseront moins problème.

En somme, au vu de l’ensemble de ces considérations, on peut risquer une petite provocation non dénuée d’une part de vérité en affirmant que la violence n’existe pas.

  1. La violence n’existe pas. Réflexions épistémologiques

Pour étayer notre démonstration, donnons quelques éléments relevant d’une épistémologie de la violence.

Les juristes s’interrogent volontiers sur la violence « préventive », « défensive » et « punitive ».Ils ont aussi le mérite de s’intéresser à la violence par ses effets. En droit civil, il s’agit d’un trouble physique ou moral comportant des conséquences dommageables pour sa personne ou pour ses biens. Souvent associée à l’idée d’extorsion de biens, la violence ou sa menace est une cause de nullité des contrats. En droit pénal, la violence est aggravation des infractions et des délits, surtout lorsqu’elle est délibérée.

Les psychologues se demanderont les facteurs favorables à l’engagement individuel dans la violence (facteurs de prédisposition à être violent et/ ou victime de violence). Des psychanalystes évoqueraient aussi le sadomasochisme, rapport social dans lequel la souffrance infligée et reçue peut aussi être source de plaisirs plus ou moins conscients.

Le plus souvent, dans une première approximation, les sociologues distinguent au moins implicitement violence « physique », violence « morale » (offensive) et violence « symbolique » (douce et persuasive dans le cadre des processus de socialisation), quitte à montrer qu’elles ne sont pas séparées par d’étanches cloisons mais qu’au contraire, les frontières sont plutôt poreuses. Ainsi la violence morale « qui provoque l’anxiété, l’angoisse, le désespoir, la peur », « et plus généralement tout état d’âme que l’on redoute et que l’on abhorre encore plus que des expériences de souffrance physique » [Pontara, 2004] peut provoquer de bien réelles lésions somatiques (dermatites, arrêts cardiaques, ulcères, voire cancers). Il convient aussi de distinguer violence « subie » ou « exercée » et bien sûr, violence « directe » et « indirecte ». Dans le sillage d’un Durkheim, les sociologues ne peuvent bien sûr ignorer l’opposition violence « normale » et « pathologique » et à la suite de Weber, violence « légitime » et « illégitime ». Les sociologues et souvent les historiens, considèrent que la violence est aussi un symptôme de crise ou de l’affaiblissement de règles sociales qui sont ouvertement contestées [Vigna, 2007] et qui donc réclament remplacement. Les chercheurs auront alors tendance à davantage s’intéresser aux situations violentes, aux processus et éventuellement aux interactions qu’aux coups en eux-mêmes qui relèvent davantage de la criminologie.

On peut donc dire que la violence n’existe pas, il existe des types de violences hétérogènes et des circonstances d’exercice de la violence très différentes sur la forme et sur le fond, que des acteurs mettent en œuvre en ciblant certaines catégories sociales. Dans ces conditions, toute situation réputée violente, doit faire l’objet d’une analyse concrète. On a aussi vu supra que tel comportement peut-être perçu comme violent par celui qui en est la cible au grand étonnement de celui qui en est la source. L’inverse est parfois vrai aussi : « même pas mal ! » dit par défi la victime d’une violence dans les cours de récréation.

La violence en outre, n’existe pas en soi. Aussi douloureux que soit cette assertion, la violence ne peut pas être condamnée a priori puisqu’elle est omniprésente et donc, pour parler comme Durkheim, un phénomène non pas pathologique mais normal de la vie en société dès lors qu’elle reste dans certaines limites. Dans quelles limites ? Là est une sérieuse question mais comme on l’a vu, les sciences sociales s’accordent à affirmer que ces limites sont variables, selon les sociétés, selon les groupes sociaux et bien sûr selon les époques.

On peut aller plus loin : fondamentalement, la violence est ambiguë, en ce sens qu’elle revêt presque toujours des fonctions anthropologiques contradictoires.

  1. Amphibologie de la violence

«Il y a toujours mort d’homme

à l’origine de l’ordre culturel ».

R. Girard [1972, La violence et le sacré]

Toute l’anthropologie, l’anthropologie occidentale et musulmane tout au moins, montre le caractère ambigu de la violence. Celui-ci s’observe au moins à plus d’une demi-douzaine de niveaux différents :

a) sur le plan de la mythologie gréco-romaine, de l’anthropologie judéo-chrétienne mais probablement aussi islamique, la violence est d’une part fondatrice mais aussi ce dont il faut s’éloigner. Divers récits bibliques (meurtre de Caïn par Abel, épreuve du sacrifice d’Isaac par Abraham, etc., des injonctions la loi du talion), l’allégorie de la crucifixion du fils de l’Homme (Jésus pour les Chrétiens), les croisades médiévales ou encore la jihad islamique l’illustrent excellemment. Les guerres saintes, menées au nom de Dieu, recourent au mal pour établir le bien. Dans toutes ces représentations, la violence devient « ce fond contre quoi et dans le détournement de quoi s’institue l’humanité ».

b) Stratèges militaires et révolutionnaires de tous poils ont eux aussi repris à leur compte un discours sur le caractère fondateur de la violence. Un aussi perspicace stratège que Clausewitz, pointe clairement le caractère intrinsèquement lié de la violence et de la paix : « en aucun cas la guerre n’est un but par elle-même. On ne se bat jamais, paradoxalement que pour engendrer la paix, une trêve, certaine forme de paix » [Clausewitz, 1831]. A. Akoun, l’exprime autrement : « on l’identifie à l’idée de rupture de l’ordre des choses », or la violence est en même temps un instrument nécessaire au maintien de cet ordre : « elle devient alors force de l’ordre ». Elle est pour K. Marx « l’accoucheuse de l’histoire » pour autant qu’elle s’inscrive dans « le sens de l’histoire ». Sous forme d’incitation, Mao le formule à sa manière : « Si tu veux qu’il n’y ait plus de fusil, exhorte l’auteur de La guerre et la stratégie (1938), prends donc ton fusil. » La conception d’une violence libératrice se retrouve chez tous les partisans de la violence révolutionnaire de S. Netchaïev à O. Ben Laden en passant par M. A. Bakounine, F. Fanon, en passant par E. « Che » Guevara, Malcom X, la Rote Armee Fraktion (RAF) ou les Brigate rosse (BR) italiennes. « Ce soulèvement, cet acte de violence par lequel une classe en renverse une autre » [Mao Zedong], qu’est la révolution, ce « bouleversement hors des procédures de l’ordre établi » que K. Marx voit poindre et appelle de ses vœux s’inscrit parfaitement dans cette logique. Ainsi en est-il aussi du J.-P. Sartre un moment compagnon de route de la Gauche prolétarienne au début des années soixante-dix. Deux décennies plus tôt, il écrivait : « je reconnais que la violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec. Mais c’est un échec inévitable parce que nous sommes dans un univers de violence ; et s’il est vrai que le recours à la violence contre la violence risque de la perpétuer, il est vrai que c’est l’unique moyen de la faire cesser » [Sartre, 1948, Situations II, p. 309]. Quant à P. Bourdieu, il reconnait aussi ce rôle à la violence, lorsqu’à la fin du documentaire de P. Carles, La sociologie est un sport de combat [2001], il s’adresse à des jeunes de banlieues de relégations en leur disant en substance : « brûler des voitures, il faut qu’il y ait un objectif». La révolution – mutation irrégulière mobilisant le plus souvent la violence – établira la justice et permettra donc un renoncement social aux violences ouvertes ou cachées de l’ordre antérieur répudié. En somme, la violence « d’en bas » éradiquera la violence « d’en haut ». Dans ses Grundrisse [1857-1858], Marx analyse la guerre dans ses relations à la propriété. En termes philosophiques, il voit dans la belligérance « la grande tâche d’ensemble, le grand travail collectif qui est exigé soit pour occuper les conditions objectives de l’existence vivante, soit pour perpétuer et protéger cette occupationce qui en fait une des bases des communautés naturelles » [in Labica sub v° « guerre »]. Et l’État-nation France ou l’État nation Algérie, ne sont-ils pas tous deux nés dans et par la violence respectivement à la fin du XVIIIè s. et au cours des années cinquante et soixante de ce que le constitutionnaliste Vedel appelait le « pouvoir constituant originaire » ? [Poirat, 2003, s. v. « révolution »]. La violence instaure donc un nouvel ordre et réciproquement il n’est probablement pas d’ordre qui ne soit né de la violence (on pense par exemple à l’histoire des États-Unis d’Amérique). Cependant, l’ambigüité de la violence est perceptible à d’autres niveaux. », «

c) Tôt ou tard, la violence ou la contre-violence stabilise une civilisation ou une situation sociale, mais dans certains cas, celle-ci ne gagnera sa légitimité par rapport au statu quo ante qu’au terme d’une longue période d’instabilité violente. Dans l’immédiat, la violence peut instaurer un régime injuste qui ne parviendra pas à acquérir de légitimité (à convaincre que ses intérêts sont « conformes à la prospérité publique ») et sera renversé à son tour. Il peut aussi générer un despotisme de fer qui se maintiendra par de gigantesques sacrifices humains (cas du nazisme). Le processus violent sélectionne les activistes les moins inhibés quant à l’emploi de la violence. Plus déterminés que les autres, ces mêmes individus se retrouveront ensuite dans les endroits les plus stratégiques de la société [Pontara, 2004]. Ceci est un phénomène ordinaire de la violence guerrière ou révolutionnaire. La violence individuelle mais surtout collective tend à désinhiber les comportements agressifs et pousse à une violence croissante. C’est une des explications possibles à ce phénomène selon lequel soldats et miliciens s’affranchissent en temps de guerre de nombre de règles sociales considérées comme normales en temps de paix (protection des civiles, respect des femmes, des enfants, des vieillards, etc.). Comme le dit V. Hugo, « la guerre, la guerre civilisée » « épuise et totalise toutes les formes du banditisme ». Et H. Barbusse ne dit pas autre chose lorsqu’il décrit « à quel point la guerre, aussi hideuse au moral qu’au physique, non seulement viole le bon sens, avilit les grandes idées, commande tous les crimes » mais développe dans les soldats et autour des soldats « tous les mauvais instincts sans en excepter un seul : la méchanceté jusqu’au sadisme, l’égoïsme jusqu’à la férocité, le besoin de jouir jusqu’à la folie » [Barbusse, 1916, p. 24]. Loin d’obéir aux lois de l’entropie, la violence semble au contraire obéir à une fonction logarithmique jusqu’à la victoire de forces contraires.

d) Ambiguë, la violence l’est aussi car les sciences sociales la considère comme un mal nécessaire mais qui, au-delà d’un certain degré, est pathologique et haïssable. Ainsi, se situant à la croisée du freudisme et du marxisme, H. Marcuse considère-t-il la violence comme intrinsèquement liée à la vie sociale mais inacceptable dès lors qu’elle prend le visage de la « surrépresion » « qui résulte de conditions sociales spécifiques et qui est imposée dans l’intérêt spécifique de la domination ».

e) La violence est équivoque d’un quatrième point de vue : « loi de la brute » dit Gandhi, se tenir à une stricte non violence implique bien souvent de se faire violence à soi-même. Refuser d’opposer « la force de l’esprit » à la violence, c’est à coup sûr pour le Mahatma se laisser entraîner dans une spirale de réponse à la violence par la violence et à la destruction de tous : « œil pour œil rend le monde entier aveugle ».

f) L’ambivalence de la violence s’exprime aussi en cela qu’elle peut générer soit « la peur qui paralyse » soit « l’indignation qui mobilise » [P. Braud, 1998] ou encore dans cette fine observation d’A. France selon laquelle « les modérés s’opposent toujours modérément à la violence » [1908].

g) La perception de la violence est aussi contradictoire puisque subjective. Dans un bel aphorisme B. Brecht déclarait : « on dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent ».

h) Tout processus d’enculturation (socialisation) et d’acculturation (changement de culture) [R. Bastide] est une violence faite aux individus qui au cours du processus sont volens nolens conduits à renoncer à la satisfaction de certaines attentes. Cette « violence structurelle » produit ce que le politologue norvégien J. Galtung qualifie de « différenciation négative entre les possibilités d’accomplissement des individus et leurs réalisations effectives » [P. Braud, 1998]. Ce n’est pas sans violence au moins symbolique qu’on « apprend à plier nos appétits et nos tendances à des impératifs sociaux » [Bardenat in Porot, 1952].Cela signifie aussi que cette violence, que les valeurs, normes et objectifs qu’elle véhicule seront intériorisés et transmis par ceux-là mêmes qui en ont été les victimes (pensons au cas extrême des mutilations sexuelles). Ce dernier cas est intéressant dans la mesure ou il s’agit d’un mixte social. Il s’agit d’une violence – les cris des victimes et les séquelles l’attestent – mais en même temps, c’est une violence qui culturellement n’est pas perçue comme telle ou du moins à la hauteur qui à nous occidentaux apparaisse « réelle ». Violence physique donc et violence à la lisière de la violence physique et de la violence symbolique dont parle P. Bourdieu. Certes, la violence symbolique est violence mais ce qui la caractérise est d’être « souvent méconnue » de ceux sur qui elle s’exerce. D’où sa nature « subie et acceptée ». Ni brutale ni dressage, cette violence douce ne fonctionne bien que dans la mesure où ceux qui la subissent croient dans la légitimité des mots et des personnes qui les prononcent [Bourdieu, 1992, pp. 123, 141, 142 ; 1994, p. 188 ; 1998, pp. 39-47]. La violence symbolique est une violence masquée et même invisible en somme. Cela évoque indirectement la tradition marxiste, pour laquelle la pire violence n’est pas celle qui s’affiche ès-qualité. Pour l’auteur du Capital, la plus scandaleuse des violences repose sur une mystification : elle est violence institutionnalisée et pacifique, comme celle qui se pare des atours de la Justice ou du travail aliéné.

La décomposition analytique de la violence génère d’autres questions.

  1. Génétique, fonctions psycho-sociales et politiques de la violence

Qu’en est-il de la généalogie de la violence ? Pour les uns, comme Platon, N. Machiavel, T. Hobbes, G. W. F. Hegel, S. Freud, la violence est inhérente à la nature de l’homme. A cette vision essentialiste de la violence, s’oppose le courant incarné par J.-J. Rousseau, J. Proudhon, K. Marx et H. Marcuse, qui considèrent la violence comme d’origine sociale. Pour les marxiens, « elle est une pratique inhérente aux rapports sociaux dont elle exprime diverses formes ». On connait le glaçant aphorisme de F. Nietzsche « vivre, c’est essentiellement dépouiller, blesser, violenter le faible, l’étranger ou tout au moins (c’est la solution la plus douce), l’exploiter » [1886, § 259]. On considérera donc, quatrième idée que la violence est d’origine sociale.

Constater le rôle fondateur de la violence est un constat utile, mais ce n’est qu’un constat. Celui-ci appelle une explication. Plus exactement, constater le caractère civilisationel de la violence montre son caractère fonctionnel au niveau anthropologique et macrosociologique. Caractère fonctionnel et inconscient tant on peut douter que les individus qui se livrent à la violence depuis la nuit des temps si on en croit P. Clastres (et depuis le néolithique seulement selon d’autres anthropologues) aient de telles ambitions. Lorsqu’on parle des fonctions de la guerre, il convient de distinguer les fonctions inconscientes et les fonctions instrumentales.

4.1. Fonctions inconscientes et compensatrices

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C’est pourquoi il est intéressant de se demander sur quoi repose la pulsion de violence.  Pour S. Freud, la concentration de la violence sur un bouc émissaire vise le soulagement d’une violence sociale latente qui trouve ainsi à s’exprimer brutalement. En ce sens, elle est catharsis et cette action « purificatrice » [Sorel (1908), 1990] permet comme on l’a vu l’existence de la société en éloignant l’humanité du chaos. Mais la violence a d’autres fonctions. Elle permet à la civilisation d’advenir en tant que maïeutique de l’histoire mais aussi en tant qu’elle a une fonction intégratrice pour les individus engagés dans un conflit commun. On sait en France p. ex., les compagnonnages dans la Résistance ont survécus au temps et aux désaccords politiques antérieurs, concomitants et ultérieurs. Le conflit en général et la violence conflictuelle en particulier, la prise de risque commune aussi est intégratrice comme le montrent G. Simmel (1995) et L. A. Coser [(1956), 1982]. Cela résulte de l’agir ensemble et aussi du fait que conflit et réconciliation (ou si l’on préfère négociation) sont clairement indissociables. Pour ce dernier, le conflit est intégrateur. C’est une des raisons pour lesquelles le conflit social et la guerre peuvent provoquer la joie. Ils sont aussi producteurs de fortes valeurs symboliques « Si affreuses que puissent devenir les misères de la guerre, au moins elles peuvent être compensées. Il y a l’honneur de la guerre. Et il y a la grandeur de la guerre » [Péguy]. On subsume ici la violence catalytique, une des importantes fonctions catalytiques.

4.2. Fonctions politiques et instrumentales ; la violence comme méthode

Au delà de l’anthropologie ou de la sociologie, la violence a aussi une fonction politique. Dans cet ordre, un auteur repère cinq fonctions. Une fonction de propagande, qui appelle à la violence contre un système à détruire. Une fonction catalytique, qui vise à renforcer le moral du groupe et à la souder. Une fonction dévoilement qui escompte pousser l’adversaire à tomber le masque d’une illusoire démocratie. Une fonction de polarisation, qui là encore cherche l’exacerbation des antagonismes dans l’espoir d’ouvrir un combat final, une fonction cathartique qui permet à l’opprimé d’exprimer sa violence latente et de retrouver en même temps, sa dignité [Pontara, 2004, p. 2049]. On a parlé supra de la de la fonction instrumentale de la violence en tant que maïeutique « guerre aux palais, paix aux chaumières », lance F. Engels qui parle de paix qui sont pires que des guerres [(1887-1888), 1971, p. 121] et on connait l’injonction de Marx à substituer « la critique des armes » à « l’arme de la critique ». Dans ces conditions, la violence est instrumentale : elle est une « méthode de lutte » en vue de la réalisation d’« objectifs disputés » [Pontara, 2004]. Et c’est aussi dans cette perspective qu’il convient de parler du terrorisme.

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  1. Acceptation et légitimité de la violence

Écartons l’approche méta sociologique qui postule parfois que l’acceptation de la domination résulte d’une démarche empreinte de servitude volontaire dans la veine d’E. de La Boétie [1548]. Dans le champ des sciences sociales, le constructivisme et notamment l’interactionnisme symbolique s’intéresseront à l’expérience subjective de la violence effectuée par le sujet et ils affirmeront qu’il faut s’interroger sur la légitimité de la violence : est-elle acceptée, naturalisée et dans l’affirmative, cette école postulera qu’il y a moins de chance qu’elle soit perçue comme telle. Si elle est intériorisée comme normale, est-ce en raison d’une quelconque soumission (dominations légitimes, dit Weber) [1922] ou est-ce plutôt en raison de contreparties qui la rendent acceptable (théorie de la régulation sociale de Reynaud) ? La violence peut aussi être acceptée, faute de moyens de s’y opposer.

A la question de l’acceptation de la violence, une sociologie plus positiviste (marxiste, durkheimienne, bourdieusienne) cherchera plutôt la réponse dans une intériorisation de la raison du dominateur par le dominé au terme de processus de socialisations ou de désintégration d’une structure sociale. Les acteurs accepteraient ou renonceraient à résister et même à s’exprimer faute d’avoir les moyens de se soulever [Marx, 1852]. Il est aussi des violences réelles qui ne sont pas perçues comme telles. C’est le propre de la violence symbolique. N. Chomsky a bien sûr raison d’affirmer que « la propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures » à condition d’ajouter que les deux sont parfaitement compatibles : violence et propagande font en effet un beau mariage.

  1. Conclusions : une notion rétive à toute limite définitionnelle

Le propos de ce texte n’était pas de dénoncer la violence ou d’imaginer des moyens de la réprimer ou même de la prévenir. Il était de se demander ce que les sciences sociales lato sensu ont à dire d’essentiel sur ce phénomène difficile à saisir et à définir. Au terme de cette petite recherche, nous sommes parvenus à la conclusion que la violence n’existe pas, il existe des violences. C’est une illusion que d’espérer donner de la violence une définition qui convienne à tous et à chacun. La violence comme la douleur n’est pas objective mais relative, en l’occurrence, la violence n’a de sens que dans une société donnée. A l’évidence, la question de la violence est centrale et embrouillée, embrouillée car elle ne peut-être dépouillée de toute dimension éthique. On chercherait vainement une définition neutre et largement acceptable de la violence. Même celle qui définit la violence comme « ce qui inflige (en le commettant ou en l’omettant) de façon intentionnelle et forcée un mal intrinsèque personnel » proposée par G. Pontara [2004, p. 2052] est discutable. Stimulante mais contestable. La violence est assurément une réalité complexe, multidimensionnelle qui n’existe pas en elle-même. Comme le dit le philosophe Y. Michaud, « il ne faut pas seulement appréhender des actes de violence aux contours et aux effets définis, mais aussi des situations ou états de violence ». Mais justement cela nous semble au moins partiellement invalider la définition qu’il propose lui-même. Les sciences sociales se renient elles mêmes lorsqu’elles perdent de vue que la violence ne peut s’analyser et s’interpréter que dans un rapport social dont il faut analyser les caractéristiques. Ainsi, il est impossible de s’interroger sur la violence sans mettre en relation son intensité et sa fréquence avec la misère sociale et la faiblesse des institutions étatiques. Ce n’est pas faire une hypothèse très audacieuse que de postuler que lorsque les services publics font défaut ou se délitent, montent la violence sociale au sens large et notamment les atteintes aux personnes et aux biens.

Mais quel que soit l’angle disciplinaire sous lequel on observe le phénomène social qu’est la violence, l’adoption d’un point de vue axiologiquement neutre est en la matière particulièrement difficile, voire une gageure. Parmi les objets auxquels s’intéressent les sciences sociales, la violence est à ranger au rang de ceux qui sont les plus susceptibles de soulever les partis pris et même les passions. La violence suppose-t-elle un meurtre ? Des  lésions physiques ? Des atteintes morales ? L’acte intentionnel est-il requis ? Toutes ces conditions doivent-elles être réunies ou l’une d’entre elles est-elle suffisante ? N’y a-t-il pas, à côté des violences résultant « d’actes commis » des violences résultant « d’actes  omisabus de force », une des définitions proposées par Le Grand Robert, où commence l’abus ? Il est certain que d’une époque à l’autre, d’une société à l’autre, d’un État-nation à l’autre, d’un village ou un quartier urbain à l’autre, ne se dégageraient pas des conclusions très claires à ce sujet. Le rapport aux sanctions physiques éducatives, même de légères gifles à un enfant indiscipliné soulèverait de sérieuses controverses. » [Pontara, 2004] ? Et si la violence se définit comme «

On ne peut pas dire non plus que la violence se caractérise par un exercice en dehors du consentement des victimes car dans ce cas parler de violence symbolique serait aporétique. Plus complexe encore, les meurtrissures sexuelles rituelles qu’on a évoquées plus haut ne pourraient plus que difficilement être considérées comme des violences car ces sont bien des pratiques sociales si intériorisées que ceux qui ont entrepris des les combattre (certaines associations ou certains gouvernements de l’Ouest Africain) se heurtent à de très fortes réticences de nombreuses ethnies ou populations (notamment en Égypte) qui ne sont pas disposées à abandonner ces coutumes ancestrales. Quant à la violence politique quelles sont les bornes qui la limitent ? En France, l’accusation de terrorisme se banalise et tend à se substituer à celle de sabotage ou d’acte de malveillance. Les auteurs de violences contre les policiers, dans les quartiers de relégation ou dans le contexte de manifestations sont de plus en plus systématiquement poursuivis et sévèrement sanctionnées par la Justice.

En somme la violence relève souvent d’une définition persuasive. Il y a à cela diverses raisons dont on a longuement parlé. D’un point de vue anthropologique, la violence est à la fois ce qui fonde la civilisation et ce dont cette dernière doit s’éloigner pour précisément permettre son enracinement et son épanouissement. La violence conduit tôt ou tard sur la voie de la civilisation mais, paradoxalement, le processus de civilisation exige qu’elle soit maîtrisée. En même temps, comme H. Marcuse le faisait remarquer en 1967, le droit à la violence contre les institutions, contre le droit positif, permet de sortir de la barbarie.

Nous aimerions d’ailleurs in fine revenir sur la définition largement acceptée que M. Weber donne de l’État. Est-elle suffisamment discutée ? Il semble en effet que l’ambition étatique a beau se prétendre monopolistique dans le domaine de la violence légitime» [Weber, 1919, p. 124] , elle se heurte à de sérieux compétiteurs. Évoquons notamment les SMP (sociétés Militaires Privées) en plein développement comme la société Blackwater qui après être intervenue en Afghanistan contribue à la guerre en Irak pour le compte des États-Unis. En France, on pourrait parler de ces innombrables sociétés de gardiennage dont les vigiles agissent dans l’ombre de l’État, en principe avec son agrément, mais dont l’existence peut aussi se comprendre comme un phénomène de fragmentation d’un monopole. D’autres éléments vont également dans ce sens. Des groupes privés peuvent parfois jouer durablement en marge de l’État (on pense par exemple aux divers types de maffias ou de bandes délinquantes), parfois contre l’État (rebellions durables dans des États-nations des pays pauvres). Mais on observe aussi que les violences illégales émanent parfois du personnel politique au plus haut niveau de l’État qui agissent en sous-main (pensons pour la France à l’affaire du Rainbow warrior). Probablement dans tous les pays, des représentants de l’État (policiers, surveillants de prison, enseignants, etc.) profitent de leur statut professionnel pour commettre des abus de pouvoir (pressions, sanctions, menaces, coups). En temps de guerre, la violation des accords de Genève est le pain quotidien des soldats – bras armés de l’État – mais les sanctions sont peu probables. La Justice internationale passe rarement. En somme pour être courantes ces types de violences ne sont ni légales ni légitimes, ni licites mais elles sont néanmoins tolérées. L’État ferme les yeux. De facto, il renonce à son monopole d’exercice de la violence physique légitime sur un territoire donné.

Finalement, la question de savoir comment la société dans ses diverses composantes contrôle la violence, dans quelles circonstances spatio-temporelles elle en prescrit ou proscrit l’usage est une piste féconde pour ceux qui veulent faire travailler la notion de violence. Peut-être ainsi deviendra-t-elle un concept. Mais on peut parier qu’encore longtemps, la violence gardera sa fondamentale ambigüité.

Références bibliographiques et filmographiques des auteurs et ouvrages cités

Le 18 janvier 2008, on a pu entendre Daniel Bouton, alors PDG de la BNP Paribas, accuser Jérôme Kerviel, un trader un peu plus audacieux que les autres, mais surtout malchanceux de « terrorisme » (sic). Après avoir « pris des positions » jusqu’à 50 milliards d’€, il a contribué à une perte de 5 milliards d’euros au détriment de l’établissement bancaire.

On trouvera en fin de document les références bibliographiques complètes.

http://www.crisco.unicaen.fr/Presentation-du-dictionnaire.html (consulté le 22 fév. 09).

« agitation, agression, agressivité, animosité, âpreté, ardeur, attentat, bouillonnement, brutalité, chaleur, colère, contrainte, coups et blessures, crudité, déchaînement, défloraison, défloration, démence, démesure, dureté, effort, émeute, emportement, énergie, enlèvement, exacerbation, excès, faction, férocité, feu, force, fougue, frénésie, fureur, furie, gêne, impétuosité, intempérance, intensité, intolérance, irascibilité, irritabilité, kidnapping, mal, obligation, oppression, outrance, passion, pesanteur, pogrom, précipitation, profanation, profondeur, puissance, révolte, révolution, sauvagerie, sévices, soulèvement, torrent, torture, véhémence, vigueur, viol, virulence, vivacité, voie de fait, volcan. »

« apaisement, calme, douceur, légèreté, mesure, modération, non-violence, paix »

Comme le remarque A. O. Hirschman (1977), 1972, 1995, les risques et les inconforts ne s’imputent pas en négatif sur le sens de l’expérience du pèlerin mais s’y ajoutent.

Selon l’OIT, au niveau mondial les accidents du travail tuent davantage que la guerre et que les catastrophes naturelles. (Vérifier et sourcer)

http://www.monde-diplomatique.fr/1997/01/A/7536

Lutte mise en scène par Steve Mc Queen, Hunger, 2008, 96 minutes.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle on ne trouve aucun occurrence de ce concept dans différents dictionnaires et notamment dans le Traité de sociologie, de R. Boudon, PUF, 1992.

Facilement et librement accessible sur http://classiques.uqac.ca/classiques/sorel_georges/reflexions_violence/reflexions_violence.html

On appelle pouvoir de violence symbolique “tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force“. C’est une “violence“: elle se traduit donc par une imposition, un pouvoir sur des destinataires. – “symbolique » signifie qu’il s’agit de « significations », de « sens » déplacé (par opposition à la violence physique).

– Ce sens est “arbitraire” car il contribue à renforcer l’inégalité sociale et culturelle entre les classes. Mais elle est dite « légitime » car socialement considérée comme souhaitable et bénéfique. Elle passe pour conforme à la « prospérité publique ». [Bourdieu, 1972, p.18].

Il ne s’agit pas ici de mettre tous ces penseurs et groupements militants dans une seule et même catégorie idéologique – ce serait absurde – mais de se focaliser sur le rôle qu’ils assignent à la violence.

Pareillement, le droit du travail en France est né de la violence, sans doute pas seulement de la violence mais notamment de la violence émeutière ouvrière.

Quoique très souvent citée, nous n’avons pu trouver l’origine de cette belle phrase dans l’œuvre de B. Brecht.

L’OMS estime que plus de trois millions de filles (fillettes, jeunes-filles et femmes) sont sexuellement mutilées chaque année et qu’entre 100 et 140 millions de femmes vivantes ont fait l’objet de ces coutumes ancestrales. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/index.html (consulté le 11 fév. 09).

Accessible sur

http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_friedrich/role_violence_histoire/role_violence_histoire.html

C’est pourquoi aussi intéressante qu’elle soit, la définition du philosophe Y. Michaud n’est pas vraiment satisfaisante. « Il y a violence quand, dans une situation d’interaction, un ou plusieurs acteurs agissent de manière directe ou indirecte, en une fois ou progressivement, en portant atteinte à un ou plusieurs autres à des degrés variables soit dans leur intégrité physique, soit dans leur intégrité morale, soit dans leurs possessions, soit dans leurs participations symboliques et culturelles » [Michaud, 1978, p. 20].

La citation exacte et complète de M. Weber est la suivante “S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu’on appelle, au sens propre du terme, l’ « anarchie ». La violence n’est évidemment pas l’unique moyen normal de l’État – cela ne fait aucun doute -, mais elle est son moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers – à commencer par la parentèle – ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé- la notion de territoire étant une de ses caractéristiques -, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime”. Max Weber, Le Savant et le politique ( 1919), trad. J. Freund, E. Fleischmann et É. de Dampierre, Éd. Plon, coll. 10/18, p. 124.

On trouvera dans l’ouvrage de FALIGOT et alii, plusieurs exemples de cet ordre.